Il sait peu de choses de ses géniteurs. Il se sait loup, il sait donc que son père est lycanthrope - violeur peut-être, volage sûrement, un homme qui lui a légué son sang de bête et son goût du voyage. Sa mère, il ne l'a jamais connue. Il ne sait pas qu'elle est une moldue qui a rejeté cet enfant dès qu'elle a su qu'elle le portait - c'est bien pour cela qu'Almira et Ferdinand McField l'ont adopté. Ils ne pouvaient avoir d'enfant, eux, et ils prirent donc celui qui leur était donné. Un petit sorcier d'abord malingre et revanchard, puis un jeune garçon téméraire, avant de devenir un jeune adulte indépendant qui les a quitté à ses peine ses quinze hivers arrivés. Il les a aimé, évidemment, mais ça ne l'a point empêché de partir courir les chemins. Crieurs de lune, ses parents adoptifs n'auraient jamais pu critiquer les choix de leur unique fils, qui portait avec superbe leur nom : eux-mêmes ont toujours vagabondé, chassé, tué, appris par les routes. Il ne les a plus revus depuis. Et ça ne le dérange pas. Ils ne savent pas qu'il a été époux, puis veuf, heureux, puis tristesse incommensurable. Non, ils ne savent rien. Ils ne sauront rien.

« T'penses aller où, McField ? » Un haussement d'épaules. Il n'en avait aucune idée. Il venait de terminer quelques semaines comme maître d'armes dans ce banneret des Terres de l'Ouest, de quoi se payer quelques petites choses en chemin - pourquoi pas une nouvelle dague, la sienne avait vu des jours meilleurs définitivement. Il était mercenaire, évidemment, mais la profession de maître d'armes n'était jamais partie de sa vie. Ça permettait de gagner sa vie honnêtement... même s'il n'avait pas grand chose à faire de l'honnêteté. Le palefrenier avec lequel il avait noué une certaine forme d'amitié, quelque chose comme une entente correcte, n'insista pas et termina de panser le cheval devant lequel il était affairé depuis un certain temps. Cirdàn l'attendait pour aller boire une chope d'un alcool quelconque, tant qu'il était fort, au village. Pour sa dernière soirée dans le banneret, sa dernière nuit à regarder les étoiles de ces terres avant de reprendre la route.
Il avait menti.
Il savait exactement où il désirait aller.
Il désirait retourner voir les loups. Il voulait courir les routes encore. Peut-être aller voir la mer, en chemin, peut-être se perdre le long des côtes et toujours se retrouver. Il mourrait d'envie de cavaler jusqu'au Filet du Diable, tout en se retenant à deux mains de le faire. Il voulait aussi se rendre au Pays de Galles pour se recueillir sur la tombe éternellement fleurie de Carynn, et attendre en silence qu'elle vienne le rejoindre. Sentir sur ses lèvres le fantôme de ses baisers, dans ses cheveux le fantôme de ses doigts, et peut-être même pleurer. Pleurer, hurler, crier, frapper, tuer, venger, détruire.

Le palefrenier rangea la bête et les deux hommes partirent pour le village, en silence. Boire, en silence. Il se déridait généralement à la quatrième chope, quand son compagnon était bien rond et bien rieur. Jeremiah, c'était comme ça qu'il s'appelait, se pencha vers lui, l’œil pétillant : « C'quand même fou. T'es resté ici, quoi, deux mois ? Et j'sais trop rien sur ta vie. P't'être que genre en fait, t'es un mercenaire, ou un loup-garou et c'est toi qui tue les villageois à la pleine lune. » Il rit. Cirdàn non. Ha. Ha. Oui, voyons, ce serait triste, après tout, s'il était un mercenaire, ou un loup-garou... au moins, s'il était un loup-garou, il serait complet. Pas un homme au sang d'animal, pas un animal enfermé dans un corps d'homme. Il baissa la tête et prit une gorgée de plus de sa boisson, sans rien ajouter, alors que Jeremiah continuait de s'aventurer sur un chemin bien glissant sans même s'en rendre compte : « Ouais, j'suis sûr que t'as une vie trop palpitante, en vrai. T'es p't'être un bâtard, sinon, d'la Vallée des Loups, ça t'irait bien en plus. Du p'tit sang d'loupiau, t'en dis quoi ? » Mort de rire. Ou pas. Toujours rien. Il avait été trop patient avec ce gamin pendant son service, ça devait être ça. Il avait réussi à contrôler son caractère aride et il se retrouvait aux prises avec un imbécile qui se comportait comme s'ils étaient meilleurs amis, tout ça à cause de quelques consommations. S'ils n'étaient pas dans un endroit public, il lui collerait bien son épée sous le nez, mais là, ça va devoir être la dague... ou la baguette. « P't'être des enfants... t'as des enfants, Cirdàn ? Des p'tits gamins qui courent dans tes jambes ? Quoique j't'ai pas vu serrer d'la dame, pourtant, y'en a des jolies, ici, et t'es pas moche, pour un ferrailleur, y'en a sûrement qu'aiment ça. » Il allait le tuer, en fait. Ouvrir sa poitrine à mains nues, en arracher le coeur et le manger devant ses yeux encore vivants et horrifiés. Peut-être, sinon, le retourner et lui baisser son froc et lui montrer ce qu'il faisait, ce qu'ils faisaient, les animaux, les bêtes, les loups, les hommes, quand ils serraient pas de la dame. Ou mieux, trancher sa tête d'un coup d'épée et ensuite la clouer sur la porte de la taverne. Le mercenaire serra les dents et laissa sa main glisser jusqu'à sa dague, la sortant discrètement de son étui. Oui, le tuer. Trancher sa gorge. Non, sa langue, oui, sa langue, et la lui faire avaler ensuite. Brusquement, Cirdàn se leva de la table, attrapa Jeremiah par ses cheveux et tira sa gorge vers l'arrière, appuyant sa lame dessus. Y laissant une fine traînée de sang. Un avertissement rauque, un grondement d'animal dévoilant ses crocs acérés, ses yeux brillants de colère : « Encore un mot et je te tranche la gorge. »

Il n'y eut plus de mots.
Il put finir sa chope en silence.

∞

Il n'aurait jamais assez de cette femme. Jamais assez du parfum de ses cheveux d'ébène, de sa peau de velours, de sa voix chaude et envoûtante. Il n'aurait jamais assez de chacun de ses sourires si rares, plus précieux que tous les Gallions qu'il donnait pour la côtoyer ne serait-ce que quelques secondes, quelques minutes, le temps de respirer son odeur. Il n'aurait jamais assez de ses frémissements, de ses frissons, de ses gémissements, de sa chute de reins, de ses seins parfaits, de ses cuisses, de son goût, de sa langue. Il n'aurait jamais assez de ses colères, de ses cris, de ses rires, de ses mots, de ses silences encore plus.
Il n'aurait jamais assez d'Ishtar.

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