Cet homme froid, distant, aux traits tirés et pourtant terriblement malicieux, celui-là même qui attire irrémédiablement le regard de sa progéniture, force au respect, à la révérence et au silence. Ce presque vieil homme qui tend la main vers son unique fille pour l'inciter à rejoindre le centre de l'attention, la faire tournoyer sous un sourire mi-figue, mi-raisin, L'attitude n'est pas anodine, certainement un but, celui de montrer combien sa fille est ravissante, glisser quelques idées insidieuses dans l'esprit des hommes... Hélas pour lui, sa progéniture est bien loin d'être dupe, et se plaît encore et encore à éconduire ces quelques prétendants un peu trop sûrs d'eux, persuadés d'être le futur maître de la traîtresse implicite. Ah le père se meure de désespoir de voir un jour sa fille mariée, ne trouve pourtant rien à redire sur le caractère de cette enfant, bien trop proche du sien, bien trop libre et sauvage encore... Mais voilà qu'un autre cavalier s'approche, extirpant un sourire amusé et ravi de la délicieuse créature, alors qu'elle change de bras, ses doigts gracieux glissant contre la paume de son aîné, jeune homme fier et arrogant qui fait la fierté de la famille. On ne le dit pas assez, mais sa réputation saurait bientôt dépasser celle du père, tandis qu'il a déjà a son actif trois bâtards, et le quintuple de torturés à son actif, Il attire les donzelles aussi facilement que le suzerain de ce comté, ses pratiques hélas, sont bien loin d'être aussi tendres, ainsi en va t'il chez les Avery, certains enclins au sadisme, même sous les draps, quand les femmes sont bien plus attirées par la douleur, salvatrice. Il sait qu'il en va de même pour sa cadette, qu'elle rougirait de plaisir sous une claque, et il rêverait de trouver femme à son image, pourtant, c'est avec douceur qu'il étreint cette dernière, la faisant virevolter sous la musique légère et frivole, cherchant le rire sous ses lèvres. Soudain, le regard de la belle se glisse sur un autre frère, bien plus jeune, avec qui elle partage toute sorte de jeux, glisse dans ses draps pour lui conter mille histoires entendues ci-et-là, contes de fées ou légendes d'antan. Aussi délaisse t'elle les bras de l’aîné pour enjoindre le plus jeune à danser avec elle, et voilà les deux complices qui rient aux éclats, tout cela sous l’œil approbateur et aimant d'une mère veillant au bien-être des siens, Elle seule semble être au courant du secret de sa fille, de cette mauvaise habitude, et pourtant se tait, devinant sans peine la colère de son époux s'il découvrait les étranges mœurs de sa fille. Sous un sourire, envoie juste une mise en garde à sa fille unique, avant de noyer ce dernier dans une coupe de vin, profitant déjà des festivités.

« Mademoiselle,veillez à vous tenir droite, ne levez pas le regard au ciel de grâce ! Bien, Faites-moi la révérence maintenant. » Et l'enfant s’exécute, non sans jeter un regard noir à son aîné qui semble se moquer d'elle, tandis qu'il ploie déjà l'échine parfaitement, Elle dérape, et c'est un rire qui lui écorche les oreilles, étirant sur ses propres lèvres un rictus mauvais, grondement sous sa gorge alors qu'elle se jette déjà sur l'auteur de cette impudente moquerie. Le but est de mordre et tenir tête à cet arrogant premier-né, tout cela sous les cris et protestations du précepteur chargé de leur inculquer les bonnes manières. A ainsi observer la scène, le résultat est bien loin d'être obtenu, la seconde enfant encore bien trop sauvage, peu désireuse d'étudier l'art de l'étiquette, au moins tout autant qu'elle refuse catégoriquement de laisser son aîné avoir raison d'elle. Alertés par les cris, on vient enfin les séparer, la jeune enfant les cheveux défaits et le regard aussi sauvage qu'un Picte se préparant à la guerre, quand son adversaire se retrouve avec trois griffures sur le visage. L'animosité tient toujours, néanmoins, le silence bientôt se fait sitôt la sombre silhouette entrée, les regards s'abaissent, les respirations sont retenues. Ainsi que chacun le sait, maître Avery n'est pas homme a prendre à la légère, et même ses enfants préfèrent se méfier de ses sautes d'humeur. « Mrs. Pumpleton, ne deviez-vous pas apprendre aux enfants à bien se conduire ? De ce que je constate, vos efforts les mènent plutôt à se jeter à la gorge. » Un silence gêné, un signe de main et voilà que l'on relâche la progéniture, d'ores et déjà bien certains qu'ils ne retenteront pas l'expérience de se sauter l'un sur l'autre, la présence du paternel suffit bien à les mener à la baguette. Un autre signe de main, et l'on conduit les enfants dans une autre pièce, puis une autre, enfin un couloir, un escalier qui mène au sous-sol, et déjà les héritiers savent où ils vont aller, le visage pâle, la peur au ventre. Trop jeunes pour supporter ce que leur paternel veut leur montrer, vestige du passé, de leur futur, de leur œuvre à venir. Ils sont des Avery, ils sont les dignes bourreaux de la société, les meilleurs, et les plus dangereux. Ils sont redoutés, ils sont redoutables, hommes comme femmes, ne vous en déplaise, et jamais ne doivent fermer les yeux devant la morsure d'un couteau, ne doivent pas non plus céder à l'hésitation le fouet en main. Ainsi ne se jetèrent-ils plus à la gorge, préférant les menaces sous-jacentes d'un couteau bien aiguisé.


Une inspiration, et voilà son regard céruléen qui s’ouvre de nouveau, portant sur le monde, ou tout du moins, sur ce qui l’entoure. La concentration est de mise, le sang pulse dans ses veines alors que la jeune femme se voit déjà contrainte de recommencer, encore et encore, son poignet tournant sur lui-même avec grâce et pourtant fermeté. « Bien, comme ceci, maintenant, abaissez le poignet… Parfait ! Recommencez tout en prononçant la formule. » L’apprentissage de la magie, des premiers sortilèges et autres enchantements. Ce serait mentir que d’affirmer qu’elle n’avait attendu cet instant toute son enfance, cours bien plus intéressants que celui de l’étiquette et autres obligations dues à son rang. Ici, la magie n’avait pas d’ordres à recevoir, elle envahissait tout son être, de la pensée jusqu’à l’extrémité de ses doigts, se manifestant par l’intermédiaire de ce bout de bois qu’elle avait obtenue chez le meilleur marchand d’Angleterre. Inspirant de nouveau, voilà la jeune pucelle qui recommence, prononçant bien distinctement les quelques mots qui feront le sortilège. Alors la magie opère, et c’est bien un sourire de triomphe qui s’invite sur son visage, tandis qu’elle abaisse de nouveau sa baguette, fière d’elle et de ce qu’elle vient de faire. Un exploit, mais l’heure du repos n’est pas encore arrivé. « Bien. Passons maintenant à l’enchantement d’un objet voulez-vous ? » Enchanter un objet ? Voilà bien la leçon qu’elle attendait depuis des mois… Depuis bien avant même, les pantins s’animant seuls ayant été les instigateurs de son désir d’apprendre assez rapidement l’art de la sorcellerie. Et se fait attentive, son ouïe toute à l’écoute, son regard fasciné…


Son cœur s'affole, son regard émeraude se perd dans celui qui l'a d'ores et déjà coincé contre un arbre, alors que ses doigts fins tentent déjà de repousser ce torse qui cherche à se coller contre sa gorge. « Tudieu, allez-vous donner suite à ma demande Lady Avery ? Voilà des jours que vous me faites languir ... » Un jour de plus n'aurait certainement pas été de trop, eut-elle l'audace de penser, alors qu'en son esprit, la réponse est déjà toute faite. Voilà quatre ans maintenant que les demandes en mariage fusent, depuis l'aube de ses quatorze printemps. Quatre années qu'elle refuse, éconduit, fuit ceux qui désirerait se faire son époux. Son père désespère de ne jamais trouver quelqu'un à sa hauteur. Il a bien eut une idée, mais l'alliance n'aurait sut avoir lieu, et sa progéniture est bien trop difficile, trop têtue, trop sauvage, trop... semblable à lui-même. D'un mouvement de tête, elle évite le contact, ces lèvres qui voudraient se coller aux siennes, lui soutirer un baiser dont elle ne veut pas. « Sir, je vous prie de me laisser en paix, je n'ai d'autres choix que de décliner votre demande. Quant à votre conduite, elle ne sied guère à l'étiquette, n'oubliez pas que vous vous trouvez sur le domaine de mon père, vous seriez châtié s'il vous voyait ainsi. » L'espoir infime que la réputation des Avery fasse son reste, sans succès hélas, alors qu'une main quémandeuse s'attarde sur sa taille, cherchant à glisser sous un corset trop bien serré pour être défait aussi facilement, et c'est le cœur de la demoiselle qui bat la chamade. De peur ? D'excitation ? Elle ne saurait le dire, pourtant, sa main s'agite et vient bientôt se glisser sous le ventre de l'homme qui dès lors cesse son activité, surpris avant toute chose. « Veuillez reculer messire, ou je ferai de vous un eunuque destiné à rejoindre les maisons d'Orient. » La lame finit par étinceler au soleil, et les lèvres de la belle se font moqueuses, alors que le regard est froid. « Auriez-vous du écouter avant monsieur, je ne suis pas seulement douée avec une baguette, vous en doutez bien. Ma réponse est non, tenez-vous en à celle-ci et trouvez une donzelle qui saura vous combler, car je ne saurai être cette dernière sir. » Mais avant même la réponse, la créature s'éclipse, son pas se faisant pressant, désireux de rejoindre le petit château, ce refuge préservant sa vertu et son honneur. Encore un désappointé à son actif, sans doute ne le fait-elle pas exprès. Peut-être attends t'elle le grand amour, ou un homme capable de passer outre ses défenses. Qui sait ?


« Tenez-vous tranquille, votre blessure ne guérira pas si vous ne cessez de la toucher. Avez-vous bu la décoction que je vous ai procuré il y a deux jours ? » Son murmure est doux, bienveillant, bien loin de la voix glaciale qu'elle peut arborer sous les ordres fatidiques de son paternel. Deux visages, l'un ouvert au sadisme, la magie noire, tout ce qui peut être utile pour faire parler un homme, un ennemi... Quand l'autre se veut tendre, mais caché sous un chaperon aussi sombre que les ténèbres. Ce serait un bien grand malheur si l'on venait un jour à découvrir qui se cache sous cette capuche, pis encore, la fin de son existence assurément. Car comment pourrait-elle être une guérisseuse, une bienfaitrice, alors que son patronyme clame de lui-même être les mains de la Mort ? Redoutée, redoutable, et pourtant si peu encline à torturer, préférant de loin venir en aide aux plus démunis, veillant à la santé d'autrui pour l'hiver rude à venir, allant jusqu'à l'aumône lorsque sa bourse le lui permet. Les temps sont durs pour les pauvres, et les rumeurs d'une guerre n'est pas pour rassurer. Est-ce pour cela qu'elle passe le plus clair de son temps dans la chambre des potions, préparant maints philtres de guérison, de prévention mais aussi de protection ? Ce même genre de philtre qu'elle a glissé dans les mains du vieil homme couché sur le lit, et dont elle cherche à faire baisser la fièvre. Dupe, elle ne l'est pas, ses jours sont comptés, quatre tout au plus, mais déjà se lève, rajuste son jupon pour mieux sortir respirer l'air frais. Au loin le soleil décline, il ne lui reste qu'une heure, tout au plus deux pour aller cueillir quelques plantes et rentrer, achever cette potion qui mijote à feu doux sur le feu, glisser dans les bras de son paternel, rire avec ses frères et jouer aux cartes avec sa mère, Un quotidien dont elle ne se lasse guère, une vie pourtant dangereuse, car qui sait ce dont son père serait capable s'il savait ce qu'elle fait sitôt son dos tourné. Ce n'est guère dans les habitudes des Averys, et il ne pourrait comprendre... Comment le pourrait-il quand elle même ignore la raison qui la pousse à ne pas achever les souffrants ? Petit mouton noir, traîtresse implicite, c'est tout un art que de cacher ce qu'elle devient à mesure que les années passent. Ainsi va la vie, ainsi en a décidé le destin.