« Puis-je savoir où tu étais ? » Tu t'arrêtes, tu retiens ta respiration. Tu sens sa présence, derrière toi. Ton père est en colère. Sérieusement en colère, tu arrives à le sentir. L'atmosphère est pesante et tu sais que tu l'as déçu. Il comptait sur toi, comme chaque mois. Tu devais l'accompagner le premier de chaque mois, assister à son conseil. Pour l'observer, pour « en prendre de la graine », comme il dit. Car un jour, tu seras à sa place. Un jour, c'est toi qui dirigeras ces terres. Même si la politique, ça n'a jamais été ton truc. Tu n'arrives pas à t'y intéresser, tu trouves ça franchement ennuyeux. Mais ton père ne veut rien entendre. En tant qu'héritier de la maison Hufflepuff, c'est ton devoir. Tu lui succéderas, que tu le veuilles ou non. Et, si tu dois admettre que la perspective d'être un jour seigneur est fort plaisante, tu ne t'imagines pas le moins du monde dans le rôle de ton père. Tu n'es qu'un gamin, tu n'es pas fait pour ces choses là. D'ailleurs, tu as bien mieux à faire. T'entraîner à jeter quelques sorts, par exemple. Tirer quelques flèches. Ou mieux encore : observer les quelques femmes faire leur toilette quotidienne à travers les carreaux. Tu dois l'admettre : elles te fascinent. Bien plus que la politique. Leurs courbes, leurs éclats de rire. Tout en elles te fascinent. Et c'est bien plus intéressant que d'écouter ton vieux père radoter. Mais ça, tu ne peux pas le lui dire. Oh non. Ca ne lui plairait pas, tu le sais pertinemment. « Je... Désolé, Père. » Tu baisses la tête. Tu es honteux, honteux de le décevoir une fois de plus. « Je viendrais la prochaine fois. Je vous le promet. » Tu l'entends soupirer et tu décides de relever les yeux, lentement. Il est toujours en colère. Simplement moins. Il ne lâchera pas le morceau. « Où étais-tu ? » Tu le fixes intensément, tu cherches une réponse à lui proposer, un mensonge. N'importe quoi, tout sauf la vérité. « Je traînais vers... vers la rivière. » Tu te mords la lèvre inférieure : ça t'a échappé. La vérité. L'endroit où tu étais. Celui où, lors des jours chauds d'été - qui ne sont que très rares dans les terres de l'Ouest, tu dois l'admettre - il arrive à quelques femmes de faire leur toilette. Et ton père aussi, le sait. Alors, ce dernier éclate de rire et ébouriffe tes cheveux. Et tu ris avec lui. Non, tu n'es pas son fils pour rien. « J'espère que tu tiendras parole, Theon. » Oui, tu tiendras parole. Mais au moment où cette femme passe à côté de vous, tu oublies déjà la promesse que tu as fait à ton père.


« Je vous demande pardon ? » Tes parents sont face à toi. L'expression de ton père reste indéchiffrable comme bien trop souvent, mais ta mère t'adresse un sourire bienveillant. Ils t'ont convoqué sitôt levé, ils ont dit avoir quelque chose à t'annoncer. Mais tu aurais mieux fait de rester dormir, car la proposition - si l'on peut parler de proposition car ils ne te laissent guère le choix - qu'ils t'ont faite est loin de te plaire. « Père, suis-je vraiment obligé? » Un soupir s'échappe de ses lèvres alors qu'il se réinstalle correctement dans son siège. « Tu as bientôt quinze ans, mon fils. Il faudra bien que tu te maries un jour où l'autre. » Te marier ? Oui, un jour sans doute. Mais tu es bien trop jeune pour y songer maintenant. Tu ne connais pas cette fille dont te parle ton père - ou si tu la connais, juste de nom - et tu n'es pas intéressé par cette proposition. À quoi bon chercher à te fiancer maintenant, le mariage n'aurait pas lieu avant des années. « J'ai déjà soumis ma proposition à son père. » Donc tu n'as pas ton mot à dire. Tout est déjà organisé. D'ici quelques années, tu épouseras cette jeune femme et elle portera les héritiers de la maison Hufflepuff. Tu n'as pas ton mot à dire sur ce sujet. Tu l'épouseras, point. Et même lorsque, quelques années plus tard, tu rencontreras une jeune femme qui fera chavirer ton coeur avant de te le briser ; même lorsque tu décideras de fermer ton coeur à ce genre de sentiments, tu ne pourras rien y faire. Ce mariage aura lieu, que tu le veuilles ou non. À moins que tu ne deviennes le seigneur des terres de l'Ouest avant qu'il ne soit trop tard.


Le soleil brille dans le ciel alors que les premières neiges ont déjà recouvert Belfast. L'atmosphère est lourde, pesante. Tes parents sont morts, voilà ce que l'on murmure dans le fief. Morts, tués. Partis. Mais toi, tu refuses d'écouter ces idioties. Tu n'y crois pas une seule seconde. Tes parents, morts? On ne tue pas un Hufflepuff aussi facilement. Ils reviendront, tu en es persuadé. Peu importe ce que murmurent les gens. Tes parents sont toujours en vie, de l'autre côté de la mer. Tu refuses de croire le contraire tant que tu n'as pas vu leur cadavre. Tu te pinces les lèvres alors que tu accélères, lassé de subir les regards désolés des gens qui t'entourent. Ils ne peuvent pas baisser les bras comme cela, ils ne peuvent pas croire ce qu'un vulgaire voyageur, saoul, a raconté dans un bar. Tu ouvres une porte et tu prends les escaliers qui sont derrière. La tour. L'endroit où tu te rends lorsque tu as besoin d'être seul, de réfléchir un moment. Mais cette fois, quelqu'un est déjà là-haut. La plus jeune de la famille, Helga. Elle te tourne le dos, son regard est perdu au loin, tourné vers la mer. Là où vous avez vu vos parent pour la dernière fois. « Qu'est-ce que tu fais ? » Ta question est inutile, tu en connais déjà la réponse. Elle s'inquiète. Et les ragots ne font sûrement qu'augmenter son inquiétude. Helga ne dit rien, elle garde le silence. Un silence qui s'éternise jusqu'à ce que tu ne décides de le briser : « Ils reviendront, tu verras. » Cette fois, elle se retourne vers toi et tu peux lire toute l'angoisse qu'elle ressent dans ses yeux. « Comment peux-tu en être aussi sûr ? » Sa voix est enrouée, presque brisée. Et sa question te prend au dépourvu. Tu le sais, c'est tout. Ils ne peuvent pas mourir, pas ainsi. Pas sans que tu aies pu leur faire tes adieux. « Ne me dit pas que tu crois toutes ces sottises? » Une fois encore, elle décide de garder le silence. Alors, doucement, tu la prends dans tes bras et tu la serres contre toi. Toi aussi, tu es inquiets. Toi aussi, tu te demande s'il ne s'agit que de simple rumeur ou si vos parents sont réellement décédés. Mais tu essaies d'enfouir toutes ses questions au fond de toi. Tu dois paraître confiant, fort. Tu ne peux pas te laisser abattre. Et tu espère toujours les revoir. « Ils reviendront, Helga. Je te le promet. » Mais cette fois encore, ta promesse ne sera pas tenue. Les terres de l'Ouest sont désormais tiennes : vous ne reverrez jamais vos parents, ni même leurs dépouilles.


À travers la porte de ta chambre, tu entends des pas se rapprocher, rapidement. Mais tu n'y prêtes pas attention. Pas plus même qu'aux voix qui s'élèvent dans le couloir quelques secondes plus tard. Tu te fiches de ce qu'il se passe en dehors de ces quatre murs ; tu es occupé pour le moment et tu auras tout le loisir d'y penser plus tard. Tu laisses ses lèvres se perdre dans ton cou alors que tes mains découvrent une fois de plus ses splendides courbes. Mais, lorsque la porte s'ouvre à la volée, elle s'arrête pour se retourner et fixer l'intruse. « Theon, je peux te par...? » Ta soeur. Jane. Qui fusille du regard la jeune femme qui se trouve dans ton lit. Elle ne l'aime pas, elle te l'a bien fait savoir. Mais tu ne tiens pas compte de son avis pour ce cas-là. Cette femme est dans votre château depuis bien longtemps et même tes soeurs ne sauraient la faire partir. Jane garde le silence un instant, les lèvres pincées, alors que la demoiselle se laisse tomber à côté de toi. Et finalement, elle prend la parole : « Je peux te parler deux secondes ? » Tu l'observes, tu tentes de deviner ce qu'il y a derrière sa tête. Mais sans succès. Tu n'as jamais réussi à décrypter ses moindres pensées. Non pas que tu sois doué à ce jeu-là d'ailleurs. Alors tu croises les bras et tu hausses tes épaules. « Je t'écoute. » « Seuls. » Oui. Forcément. Elles n'aimes pas se trouver dans la même pièce, forcément qu'elle veut qu'elle s'en aille. D'autant plus qu'elle n'a plus le moindre vêtement sur elle - mais ce n'est pas la première fois que ta cadette la voit dans le plus simple appareil. Elle s'en formalisera.
Mais pour le moment, Jane semble avoir quelque chose d'important à te dire. Tu te tournes vers la demoiselle qui occupe ton lit, un regard d'excuse pour elle. Et sans un mot, elle se lève et quitte la pièce. C'est à ce moment-là que tu reportes ton attention sur ta soeur. « Alors ? Qu'y avait-il de si important ? » Elle soupire, exaspérée. « Par Merlin, Theon ! C'est la guerre ! » Tu es au courant, oui. Jane elle-même te l'a annoncé voilà quelques semaines. Slytherin a assassiné Gryffindor et la guerre est déclarée. De l'autre côté de la mer, loin de vous. Et, si Jane semble pressée que vous y preniez part, ce n'est nullement ton cas. Aussi peu intéressé par la politique que tu es, tu est pourtant assez intelligent pour ne pas céder ta flotte au premier venu. « Il paraît, oui. » « Qu'est-ce que tu comptes faire ? » Cette fois, c'est toi qui soupire. La patience est une vertu dont n'a apparemment pas hérité ta très chère soeur. Ton rôle peut être important dans cette guerre, mais tu ne sais pas encore avec qui tu te battras. Gryffindor ou Slytherin. Difficile de trancher lorsque l'on a des intérêts à rejoindre chacun de ces deux camps. « Seul l'avenir nous le dira, Jane. » réponds-tu simplement. Et cette fois, tu vois dans les yeux de la cadette que cette réponse est loin de la satisfaire.