ACTE I - « Lave moi cette frimousse crasseuse, Gall ». Isildra essuie ses propres mains sur son tablier et passe un doigt sur sa langue avant de le coller sur la joue de son fils, et de l’essuyer promptement. Le gamin se débat, repousse sa mère qui joue trop souvent à la mère poule, selon lui. Il n’est plus un enfant, du haut de ses huit ans. « Gall ». Le gamin se retourne, découvrant le fils aîné du seigneur de la Maison, qui se tient debout près de la porte. Rollan Fenwick trainait souvent du côté de l’aile des domestiques, Gall n’avait jamais compris pourquoi. Lorsqu’il posait la question – jamais devant le fils du Lord, voyons -, sa mère lui répondait toujours la même chose : les nobles font toujours ce qu’ils veulent, ils n’ont pas besoin de raison. « J’ai quelque chose de nouveau à te montrer, Gall », reprit Rollan Fenwick, un sourire bienveillant collé aux lèvres. Gall jeta un coup d’œil à sa mère, qui gardait les yeux baissés, comme à chaque fois que Lord Rollan passait par là. « Isildra, je suppose que ça ne vous dérange pas », reprit le Lord. La mère de Gall secoua la tête, et répondit, toujours tête baissée : « Lord Rollan, laissez-moi juste décrotter le visage de ce garnement, et il est à vous ». Le jeune homme partit d’un rire léger, avant d’agiter vaguement sa main, comme en signe d’accord. Isildra précipita ses mains sur le visage de son fils, et tantôt frotta, tantôt remit un peu de salive pour faire briller le tout. Lorsqu’elle eut fini, et après mille protestations du garçon, elle le repoussa vers le Lord, qui attendait toujours à la porte, d’un air distrait. Gall s’approcha du Lord, qui avait toujours été si gentil avec lui, sans qu’il ne comprenne pourquoi. Grâce à lui, même en tant que fils de camériste sans nom et sans père, Gall avait appris les rudiments de la lecture, et de l’écriture – même si ses lettres étaient chiffonnées, et qu’il faisait toujours un milliard de fautes. Gall ne lisait jamais, en dehors du temps qu’il passait avec le jeune Lord. En fait, Gall n’aimait ni lire, ni écrire. Il avait l’impression ténue qu’il n’était pas fait pour ça, tout simplement. Ce qu’il aimait, en revanche, c’était quand Lord Rollan lui parlait des créatures magiques. Lord Rollan était un sorcier doué, passionné. La mère de Gall était également une sorcière, de sang-mêlé et d’origine trop modeste : ses pouvoirs étaient assez réduits, et elle ne possédait pas de baguette comme Lord Rollan et sa famille. Néanmoins, elle avait quand même passé un peu de magie dans Gall, puisque lui-même arrivait parfois à faire quelques trucs incompréhensibles.

Gall suivit Lord Rollan hors de la pièce, silencieux. Sa mère lui avait toujours dit de ne pas parler en premier à un Lord, et bien qu’il ne soit pas spécialement adepte des convenances, Gall s’était toujours tenu à ce qui semblait être une règle d’or. Il n’était après tout qu’un Dragon, le fils d’une camériste rétrogradée en femme de ménage après son accouchement, et d’un père inconnu. Un bâtard, comme le disait si bien tout ceux qui le connaissait. « Gall, connais-tu la famille Grimaldi ? Ce sont nos grands suzerains, une famille très puissante », commença Rollan Fenwick. « Parce qu’ils ont des dragons », répondit le gamin tout en trainant des pieds. « Exactement ! », répondit le Lord, visiblement très enthousiaste. « Les dragons seront notre leçon du jour, Gall », poursuivit-il, avant de tourner à un coin, puis à un autre.

ACTE II - « Il faut que je te dise quelque chose, Gall », murmura sa mère d’une voix faible, tremblotante. Elle était allongée sur son lit de paille, une couverture miteuse remontée jusqu’au cou ; Gall était agenouillé au sol, les deux mains serrés autour du poing fermé de sa mère malade. Il lui repoussa une mèche de cheveux qui lui tombait sur le visage, d’un geste tendre. Autrefois si plein de vie, châtains clairs, les cheveux de sa mère étaient aujourd’hui tristement ternes, cassants et presque blanchâtres. Sa peau était blafarde, ses lèvres légèrement bleuies. Isildra était tombée malade : d’abord un simple rhume, puis des pertes d’équilibre. Et enfin, la paralysie d’une jambe, puis d’une autre. Nul ne connaissait le mal qui la rongeait, mais celui-ci l’entrainait inexorablement vers la mort. Gall avait dix-sept ans, et sa mère lui semblait alors si jeune, si frêle, si fragile… Il se préparait depuis peu au départ de sa mère, mais redoutait encore le moment fatidique. Chaque jour, chaque heure, chaque minute, elle devenait de plus en plus faible. On avait bien dépêché un médicomage auprès d’elle, mais il avait décrété ne rien pouvoir faire, sauf la soulager un peu. Ça n’avait pas l’air de fonctionner. « Gall, écoute-moi », reprit Isildra, toujours si faible. Elle toussa, cracha un peu de sang, que Gall s’empressa d’essuyer avec sa manche. « Je t’écoute, Mère », répondit-il, docile et tendre, ce qu’il n’avait jamais vraiment été, avec elle. « Avant que je… que je parte. Tu dois savoir qui est ton père », lâcha-t-elle avant d’être prise d’un frisson. Gall fronça les sourcils, les oreilles grandes ouvertes. Son père restait le plus grand mystère de sa vie ; un mystère qu’il avait appris à ne plus désirer élucider. Sa mère ne lui avait jamais rien dit à ce propos, comme si elle-même ne savait pas. Certains habitants du petit château Fenwick racontaient qu’elle avait été violée. Gall n’avait pas envie d’y croire, et maintenant que sa mère lui offrait l’ombre d’une réponse, il se sentait étrangement curieux, avide de savoir. « Rollan Fenwick », fit-elle dans un souffle, comme si prononcer ce nom la vidait de ses forces. Gall lui lâcha la main, de surprise, et voulut pousser un énorme « QUOI ?! ». Mais l’état précaire de sa mère retient le torrent d’émotions qui violentait son cœur. Si elle disait vrai, cela expliquait pourquoi Lord Rollan s’était toujours montré si bon, avec lui. « Comment ? », demanda-t-il, reprenant la main de sa mère, la serrant, comme pour la pousser à continuer. Isildra ferma les yeux un moment, et Gall ne put se retenir d’être agacé. « Je venais d’être engagée comme camériste pour sa cousine, j’avais quatorze ans. Il était beau, nous étions si jeunes... Puis je me suis… rendue compte que tu étais là, en moi. Nous avons juré de ne jamais rien dire. Son père aurait été bien trop en colère, nous étions surs qu’il ferait tout pour me nuire, et Rollan pensait aussi qu’il serait capable de te tuer. Lord Rollam est un homme orgueilleux et fier, Gall. ». Gall enfouit son visage dans la couverture de sa mère, et la mordit, pour se retenir de hurler. Il aurait préféré ne jamais savoir. « Je suis certaine que ton père t’aime », souffla Isildra. Puis plus rien. Gall le sentit, lorsque la main de sa mère se fit plus molle entre les siennes. Il la lâcha, et celle-ci tomba mollement sur le lit précaire. Gall embrassa sa mère sur le front, très fort, puis se détourna. Il ferma les yeux un moment, et vit le visage de Rollan Fenwick. Son père. Il rouvrit les yeux, et pensa à la noble femme qu’il avait épousée, aux deux enfants qu’elle lui avait donnés depuis.

Le soir-même, on enterra sa mère humblement. Lord Rollan ne vint pas. Le lendemain matin, Gall quittait le domaine Fenwick.

ACTE III - « Gall Dragon, un bâtard », commença l’homme, circonspect. Il paraissait bien terre à terre, et avant même d’avoir pu ouvrir la bouche, Gall avait su que l’homme avait déjà forgé son opinion. « Vous m’avez convoqué, m’sire », fit-il, maussade, croisant les bras sur son torse musclé. Le sorcier lissa sa robe, puis sa longue barbe, et enfin acquiesça avant de repartir : « Nous avons entendu parler de vous, et il est possible que vous soyez le genre d’homme dont nous avons besoin, ici. Je parle bien entendu du service de régulation des créatures magiques ». Gall ne répondit rien, se contentant de regarder l’homme, un sourcil légèrement arqué. « Bien. Gall, votre réputation vous précède. Dîtes moi un peu si ce qu’on dit est vrai ». L’homme fit un geste vers lui, comme s’il lui passait la parole. Gall, jusqu’alors appuyé contre le mur, s’avança un peu, la main sur son épée. « Et qu’est-ce qu’on dit ? », demanda-t-il, rustre. « Que vous êtes un expert en créatures magiques », fit l’autre. Et Gall d’hocher la tête : « Ca s’pourrait que je sois le bon Dragon, alors ». Cela le fit sourire, mais pas le sorcier. « On m’a appris gamin ce qu’il y avait à savoir sur les créatures, mais je les ai pratiqué qu’à dix-sept ans, quand j’ai travaillé pour un élevage d’hypogriffes. De nobles bêtes, ma foi ». Le recruteur hocha la tête, tout en ne cessant de traficoter sa longue barbe. Elle devait être aussi longue que celle de Merlin, si Gall avait pu savoir combien elle mesurait. « On m’a aussi conté que vous avez épargné un village moldu d’un griffon », dit-il, le regard ailleurs. « Ça devait être moi, ouais ». « J’ai un travail pour vous, Gall Dragon. Vous allez travailler pour notre service. Vous allez voyager aux quatre coins du royaume, et faire en sorte que les créatures magiques ne nuisent à personne ; vous allez également vous charger de ce genre de sorciers qui pensent pouvoir tromper le Conseil, et brigander. Evidemment, seules les affaires concernant les créatures vous intéresseront. Votre travail consistera en grande partie à cela, mais il est possible que l’on vous confie parfois des missions un peu plus… spécifiques, disons. Toujours en rapport avec les créatures magiques », résuma le vieux barbu. Gall se tint silencieux un moment, penchant la tête sur le côté, comme s’il réfléchissait. « Bien payé ? », questionna-t-il sur un ton bourru. L’homme parut offusqué : « Mieux que vous ne pourrez jamais espérer ». Alors Gall essuya sa main sur sa veste avant de la tendre au sorcier, qui la serra promptement, légèrement dégoûté : « Marché conclu, m’sire ». « Parfait ! Je doute que vous vous en serviez beaucoup, mais il est de rigueur que tous nos employés soient pourvus d’une baguette magique ». Gall haussa les épaules, tapotant son épée avant de répliquer : « Y’a pas beaucoup de magie en moi, sire. Rien ne vaut l’épée et l’arc ». Le barbu secoua la tête vivement : « C’est un point non discutable. Ne vous en servez pas, si vous le souhaitez, mais vous devez en avoir une ». Cette fois, le ton était sec et n’accepterait aucun commentaire. « Si ça vous fait plaisir », ne put que dire Gall.